Entre temps n°1 – avril 1986

PARTITIONS D’ARCHITECTURE
Métaphore architecturale du Répons de Pierre Boulez

Entretien avec Benoit JULLIEN

Il me semble que la musique est actuellement en avance sur l’architecture: elle a en effet intégré l’ordinateur comme donnée de la composition et outil pour traiter le matériau. Chez nous, architectes, l’ordinateur reste peu utilisé, il reste un instrument auxiliaire; d’où en résulte à mon sens un retard technologique de notre discipline. En général les architectes sont méfiants devant tout ce qui relève des nou­velles technologies, par exemple devant les images de synthèse; ces images seraient pourtant d’un intérêt fantasti­que pour l’architecture, or elles ne sont pratiquement pas utilisées, cela moins pour des raisons économique que par mépris vi -à-vis de cette technique. Les architectes en restent ainsi aux vieux usages (comme celui du dessin traité au lavis) cc qui conduit à créer un décalage de plus en plus prononcé entre les projets (tels qu’ils sont montrés dans les revues) et les réalisations finales avec la notion d’espace qu’elles véhiculent. En architecture on montre un projet non réaUsé, représenté par le dessin. Mais c’est très dur de dessiner, donc d’exprimer un projet, sans tricher. En général l’archi­tecte connait les faiblesses de son projet et a tendance, cons­ciemment ou inconsciemment, à les dissimuler en utilisant certains points de vue privilégiés dans la représentation gra­phique. Ainsi actuellement on voit se multiplier les perspec­tives axonométriques, en particulier vues du ciel (tous les concours sont jugés sur une telle base), ce qui représente une perversion du dessin puisque jamais la réalisation ne sera vue sous cet angle; de plus l’usage des couleurs s’aligne de plus en plus sur un maniement purement pictural au lieu de rester fidèle aux couleurs de la réalisation finale. En cette matière les nouvelles images de synthèse pourraient servir à réaliser des images extrêmement réalistes qui, de plus, pour­raient être réalisées par d’autres architectes que ceux qui élaborent le projet. Tout ceci permettrait de démystifier beaucoup de projets architecturaux.

Ce refus de l’ordinateur chez les architectes est d’autant plus marqué que l’ordinateur n’affecte pas directement nos matériaux. Face à une innovation technique de matériau, l’architecture a, dans son histoire, réagi de façons diverses. En général cela n’a entrainé de modification de la pensée et des concepts architecturaux ou indirectement, dans un second temps. Par exemple, dans le cas de l’invention du béton, on a commencé par imiter les bâtiments classiques, utilisant le béton avec les mêmes concepts formels que précédemment. Ensuite seulement il y a eu coupure parmi les architectes entre ceux de l’Ecole du Bauhaus (issue de Vienne comme l’était à la même époque la pensée dodécaphonique) qui ont complètement changé le vocabu­laire architectural à partir de ce nouveau matériau et les autres engagés entre autres dans le style « arts déco » … Avec l’introduction du métal dans l’architecture c’était pareil; il y avait eu des architectes qui, travaillant le métal, voulaient le montrer et il y eut, en face, ceux qui voulaient le cacher en faisant, comme au Grand Palais, une façade de pierre pour dissimuler la structure en acier (qui était considérée comme un simple travail d’ingénieur).

On retrouve ce genre de débats aujourd’hui à propos des textiles et des matériaux synthétiques qui entrainent une révolution dans la conception des façades.

En musique, c’est je crois la même chose. il me semble que l’ordinateur permet de faire ce que l’on veut à partir des ins­truments classiques et, par exemple, de maîtriser la résonance. Tel est le travail fait à l’Ircam avec la 4X, en par­ticulier pour le « Répons » de Pierre Boulez. La différence entre l’ordinateur et un matériau c’est que la prise en compte de l’ordinateur doit intervenir au niveau conceptuel alors que celle du matériau (nouveau) n’intervient qu’au niveau de la réalisation. D’où, en architecture, une progres­sion qui suit la règle: d’abord une transformation du matériau et ensuite une transformation des concepts.

Je fais ce rapprochement architecture/musique mais je n’en suis pas un obsédé; je ne tiens pas à pousser la métaphore jusqu’au bout comme un fou.

Certains le font et cela donne de drôles de résultats. J’ai vu ainsi récemment un projet architectural fondé sur la symphonie opus 21 de Webern. L’architecte qui présentait le projet avait disséqué la partition de façon très approfon­die puis s’était proposé de la dessiner dans l’espace et d’en trouver un équivalent architectural minutieux: par exemple tel type de symétrie musicale devenait une porte, tel silence se convertissait en vide … Il avait décalqué, au moyen d’un vocabulaire architectural particulier, son projet sur la parti­tion; c’était évidemment aberrant! Webern n’était pas en charge de construire un espace formel et il est absurde de considérer que tout espace immatériel a sa correspondance dans un espace matériel. L’architecte s’est aperçu de cette impasse et a repris son projet en prenant une liberté de décalage par rapport à l’opus 21.

Je m’intéresse pour ma part à la musique comme une source de créativité. Cela peut être complétement intuitif mais par­fois plus raisonné. Ainsi il y a des notions que j’ai trouvées dans des livres de musiciens (Boulez, Messiaen, Pousseur, Kagel, Stockhausen … ) et qui m’inspirent: par exemple cel­les de formant et de développant introduites par Pierre Bou­lez et qui conduisent à l’idée d’une dualité entre structure inamovible et structure plus mobile. Cette idée me parait, par analogie, pouvoir enrichir et complexifier les composi­tions architecturales et créer par là une lecture dynamique. J’ai été également intéressé par les règles sérielles ou par les théories de Messiaen sur les rythmes; dans chacun de ces cas on peut rechercher des analogies architecturales sans pour autant s’engager dans des transpositions brutales et formel­les.

J’ai réalisé une place architecturale où la fonction stimula­trice de la musique fut pour moi très importante. C’est une place dans une ville du Rhône nommée Bron, qui fut inspirée par le « Répons » de P.Boulez, ce qui m’a amené à la nommer « Place musicale ».

C’est une réalisation qui date maintenant de trois années pour sa conception et par rapport à laquelle j’ai évolué depuis. J’avais, bien avant cela, lu beaucoup de livres de gens qui parlaient de la musique de façon spatiale, tels Messiaen ou Xenakis. Le musicien décrivait une architecture et cela bien sur m’évoquait de nombreuses images. Ensuite j’ai eu l’occasion d’entendre « Répons » à Bobigny dans sa première version, accompagnée de la présentation qu’en fai­sait alors Boulez. Cela m’a beaucoup intéressé. J’ai rencontré alors des gens de l’InterContemporain et de l’Ircam qui m’ont donné de la documentation, en particulier sur la 4X. A la même époque j’avais à réaliser ce projet de place dans le Sud de la France pour un quartier d’habita­tions peuplé de rapatriés. Cela a été pour moi l’occasion de réaliser une expérience en m’inspirant directement de « Repons », J’avais à construire tous les logements autour de la place, à tracer les petites routes y menant … J’avais là à construire, dans et autour de la place, tout un espace. En effet l’architecture construit l’espace, le rend matériel, le referme mais cela, elle le fait en étant elle-même une struc­ture interstitielle entre deux espaces: l’espace extérieur et l’espace intérieur. Elle crée donc une dualité dans un espace vierge. La lecture et la cohérence doivent s’exercer dans les deux sens: intérieur vers extérieur et extérieur vers intérieur. On peut même dire qu’il y a là en jeu une double dialecti­que, car il y a d’un coté à assurer une cohérence entre intérieur et extérieur d’un bâtiment et, de l’autre, entre le bâtiment et son environnement spatial. Avec ce travail sur la place j’avais tout cela à élaborer. Il faut savoir qu’un des grands problèmes de l’architecture en ce moment est qu’on veut faire des façades, on se fiche de ce qui se passe à l’intérieur du bâtiment et c’est en général très différent de l’extérieur. On se moque aussi de ce qui se passe dans l’envi­ronnement spatial du bâtiment. On ne veut que faire des façades et ainsi, en réagissant contre le style moderne, on en revient à ce qui se passait au début du siècle, à l’architecture style « Prix de Rome » où une classe sociale se donnait en représentation. Un autre signe que l’on en revient à cela est qu’on se désintéresse de l’architecture intérieure: dans les revues spécialisées on ne voit plus du tout des plans de bâti­ments, de photos d’intérieur. L’épaisseur et la complexité de l’architecture se perd ainsi dans le pur jeu de la façade.

Ce qui m’intéressait dans ce projet de place était précisément de la concevoir comme un tout et par exemple d’avoir à considérer un espace vert comme aussi de l’archi­tecture. En même temps que la construction des immeubles, l’idée m’est venue d’un plan masse non fermé, qui en un sens ne soit pas une vraie place parce que ses limites en seront incertaines, définies à la fois par certains bâtiments mais aussi par des horizons construits qui bloqueraient la vue. Mon but était de conserver un espace extérieur le plus « épais » possible, aussi complexe qu’un espace musical: un espace dont les limites ne soient pas précises, une place dont on ne puisse pas dire univoquement et instantanément qu’elle s’arrête là ou là. Je voulais que la perception globale de cette place ne puisse se faire tout de suite mais nécessite une durée, un temps. Ce n’est pas l’idée d’une durée nécessaire pour parcourir l’espace, pour en faire le tour, pour en posséder la mesure mais plutôt l’idée que, d’un point fixe, il faille une certaine durée pour l’éprouver et en particulier pour apprécier ses limites. Cette idée m’est venue en écoutant « Répons » puisque le spectateur ne sait pas vraiment qui joue quoi et où s’arrête la musique dans l’espace, au centre ou à la périphérie.

Il y a également d’autres éléments du projet architectural qui se relient à mon intérêt pour « Répons« . Il y a par exem­ple, autour de la place, des « miroirs », non pas au sens habi­tuel d’une surface réfléchissante mais de façade sur lesquel­les sont dessinés en anamorphoses des éléments situés au centre de la place. Ces miroirs sont des sortes de « répons » latéraux du centre. Il y a aussi des sculptures d’Aiko Miya­waki qui projettent dans le ciel des fils arrimés à des masses centrales. On ne peut guère à ce propos parler de sculptures au sens européen du terme car ces œuvres – et c’est une cons­tante de la sculpture japonaise – ne tiennent pas seules mais dans l’environnement, construit ou naturel, pour lequel elles ont été conçues et dans lequel elles trouvent leur résonance.

À partir de cette sculpture qui projette ses fils dans l’atmosphère, J’ai dessiné une fontaine qui rendait liquide vers la terre la trace que la sculpture laissait dans le ciel.

Cette intervention du sculpteur m’a permis de focaliser la place tout en écrivant sur le ciel en une image apparentée à celle produite par un laser.

J’avais également d’autres projets d’analogies avec la musi­que: par exemple d’ordonner les couleurs et les matériaux en liaison avec une idée des consonnances et des harmonies musicales, mais j’ai abandonné cette idée car elle m’est apparue sans issue. Il m’est principalement resté de ce tra­vail analogique avec la musique une série d’images qui se superposent, qui servent donc d’écran les unes par rapport aux autres et qui ainsi complexifient les limites de la place.

Je dois aussi mentionner en passant qu’il y a 12 fils qui mon­tent de la sculpture et que le dessin du sol de la place se fait selon 12 secteurs, légèrement inégaux. Inutile d’insister sur l’origine de ce chiffre.

Pour jouer encore de l’analogie j’ai eu un certain nombre de problèmes « d’interprétations » avec les entreprises de tra­vaux publics qui avaient tendance à procéder au plus simple et à ne pas respecter à la lettre le plan initial. C’est un problème qu’on rencontre souvent en architecture, d’autant qu’il y a parfois sur les chantiers intervention d’un nouvel architecte qui n’est pas celui ayant créé le projet. D’où des sources supplémentaires de déformations ou d’inflexions.

J’ai actuellement un autre projet qui est de réaliser une aire de loisir avec des espaces de jeux pour les enfants. J’ai dans l’idée de partir de nouveau d’une œuvre musicale en la transformant par toute une série d’images ou de structures. Je n’ai pas encore déterminé l’œuvre en question; j’écoute pour cela beaucoup de musique contemporaine.

Je sélectionne à priori dans la musique contemporaine et non pas dans les musiques du répertoire car je préfère m’ins­pirer d’une musique actuelle. Cela vient de ce que, lorsque j’écoute de la musique classique , le plaisir tient en partie à ce que je sais ce qui m’attend. Pour écouter de la musique contemporaine il me faut me concentrer beaucoup plus et,si le plaisir que j’éprouve est moins instantané, je ressens plus d’intérêt pour l’œuvre dans l’immédiat. De plus je peux ren­contrer les compositeurs et cela renforce mon attirance pour cette musique. A vrai dire, tout ce qui est de mon temps me passionne a priori, même si je suis amené à rejeter de nom­breuses choses de la vie quotidienne, ne les mémorisant que pour l’information qu’elles m’apportent.

L’œuvre contemporaine choisie, j’en analyserai les structu­res. Comme je l’ai dit, je ne crois pas intéressant de convertir directement une partition en un espace ou pire encore en une façade (je connais quelqu’un qui ainsi a utilisé une par­tition de Bach comme principe d’ornementation et de déco­ration). Je préfère essayer de comprendre comment s’est construite l’œuvre, de déterminer ses différentes com­posantes. L’analyse de l’œuvre me donne des mots comme ceux de rétrogradation, superposition, canon, qui peuvent aussi fonctionner comme concepts architecturaux. A partir de là seulement je cherche des images.

Je m’intéresse à ce genre de correspondances car je trouve que l’architecture est un domaine vivant qui mérite autre chose que l’indifférence à laquelle les architectes la condam­nent en l’enfermant dans son propre domaine de références. Les architectes ont tendance à rechercher leurs sources dans leur propre discipline, d’où un travail compilatoire et un jeu de miroir où chaque imaginaire se nourrit exclusivement des revues internationales d’architecture, classées selon les tri­bus, que l’on appelle tendances, et qui les marquent d’une manière exclusive. Dans cette situation d’autoréférence, tout le monde en arrive à copier tout le monde si bien que les différences entre les architectures tiennent souvent à peu de choses: à quelques morceaux de béton disposés par-ci, par-­là dont seuls les initiés peuvent percevoir la différence. C’est assez triste. Il faut donc trouver d’autres sources, comme cela s’est d’ailleurs toujours fait dans le passé. Pour moi actuellement cette source possible c’est la musique et, comme je l’ai dit, plus particulièrement la musique contem­poraine. Je me suis par exemple replongé dans la scolarité musicale (je travaille le violoncelle) et dans mon conserva­toire on a étudié la Passion selon St Luc de Penderecki. En regardant la partition, des images me sont venues; je me suis rendu compte que le compositeur, pour utiliser de telles condensations de signes à rebours des écritures classiques, avait dft se libérer d’une grande quantité de règles héritées du passé ; j’ai pris conscience que nous les architectes n’avions pas réalisé ce genre de libération. Il y a certes les post-modernes qui ont œuvré dans ce sens, mais cela s’est cantonné à une invention d’éléments plaqués sur une façade, sans qu’on ne saisisse ce qui se passe derrière.

Je préfère donc partir de références qui ne sont pas architec­turales. Cela m’a conduit à faire fonctionner un vocabulaire totalement différent et directement produit de mon rapport à la musique; par exemple dans le cas de la Place de Bron l’idée du miroir, c’est-à-dire du positif-négatif, des deux lec­tures selon qu’on lit en privilégiant les pleins ou les vides ou encore des parties de bâtiments qui se répondent, le plein de l’un étant le vide de l’autre et réciproquement; Cette idée de miroir renvoie aussi au fait de dessiner à la périphérie de la place des anamorphoses des volumes centraux. J’ai aussi manié la notion de symétrie cassée (qui là encore m’a direc­tement été inspirée par « Répons ») c’est-à-dire des symétries toujours un peu décalées. Ces notions ne sont pas utilisées habituellement en architecture. Par exemple aux Beaux­Arts, on nous enseignait de ne jamais faire de reprises à l’intérieur d’un même projet: « cela ne se fait pas » était la seule explication fournie. Je trouve au contraire intéressant de jouer avec les références du projet sur lui – même. L’autoréférence d’un espace donné m’intéresse (et non pas l’autoréférence de la discipline architecturale dans son ensemble). J’entends par là des éléments du projet qui sont repris mais à une autre échelle. C’est d’ailleurs un parti qu’utilise Dali dans certains de ses tableaux : tout élément à un répondant mais à une autre échelle et selon une autre dis­position figurative.

Dans cette Place Musicale j’ai également mis en jeu la notion de fil libre qui bizarrement n’existait pas en architec­ture. Le fil est classiquement toujours conçu comme un câble, donc comme quelque chose de fixe. Ici les fils qui s’ancrent dans la sculpture d’Aiko Miyawaki, mais qui s’intègrent à l’espace, sont mobiles, évoluant souplement au gré du vent, et comme ils sont en inox leur couleur aussi fluctue avec l’environnement météorologique.

Cette autoréférence du projet est pour moi une notion très suggestive que je relie à ma fascination pour l’idée de laby­rinthe puisque là aussi joue le fait que, pris en son intérieur, on ne sait plus bien quelle est l’échelle et quelle est la taille des choses.

En image de « Répons » j’ai également joué, dans cette place, de l’opposition entre parties très agréables (par exem­ples des emplacements où, assis sur un banc, l’espace se donne avec évidence) et des parties extrêmement dures (endroits de la place où l’on ne voit rien). J’ai aussi conçu un équivalent métaphorique de la machine informatique qui traite tout par une simple combinatoire de O et de 1 en découpant toute la place en petits éléments à partir desquels s’élaborent les pierres, les petits murs comme les grands volumes. Tout est ainsi composé de petits cubes qui sont tous semblables, la différenciation se faisant par leur agen­cement, ou mieux: on pourrait considérer que tout l’espace est rempli de ces petits cubes et qu’on a composé cette place en en retirant certains, par soustraction de matériau.

Dans la conception du tracé j’ai également fait fonctionner mon imagination en résonance avec la musique. On appelle tracé, en architecture, tous les fils conducteurs du projet, toutes les idées directrices qui initient la conception et le dessin. Ici j’ai conçu un projet tendu par un tracé rigou­reux mais qui à l’arrivée ne donne pas cette impression.

L’idée, qui m’est venue de l’écoute de « Répons », est qu’il y /ait un ordre qu’on pressente sans jamais qu’il apparaisse comme tel, ou encore que les ordres qu’on devine disparais­sent en même temps que persiste l’impression d’un nouvel ordre inconnu.

Je me répète mais, s’il y a à mettre en évidence des analogies de structures entre la musique et l’architecture, je pense cependant que les champs artistiques restent spécifiques. A vrai dire, il y a un problème propre à l’architecture, c’est qu’en un sens elle n’a justement pas de spécificité artistique. Je veux signifier par là qu’elle produit des endroits où les gens vivent, habitent, des bâtiments destinés à résister aux tremblements de terre, au feu … Il y a ainsi tellement de cho­ses qui interviennent, de contraintes qui pèsent, que la part purement artistique de l’architecture est très en retard. Dans la musique, le put est seulement le plaisir; a,u terme du pro­cessus il y a essentiellement cela alors que l’architecture rem­plit avant tout des fonctions qui sont d’autant plus pesantes que vous construisez des logements HLM et non pas la pyra­mide du Louvre. Je ne dis pas par là qu’on ne puisse faire des HLM qui soient esthétiques, au contraire je pense que c’est là que se fait actuellement la meilleure architecture. Je crois simplement que l’architecture, si elle est autonome, puisqu’elle produit des objets autonomes dans l’espace envi­ronnant, n’est pas spécifique, car elle est trop contrainte par une kyrielle d’intervenants, des entreprises de travaux publics aux décideurs.

Février 1986
Propos recueillis par F. Nicolas et G. Pesson

Site internet de la Revue Entre temps

Voir l’ensemble de logements construits par Benoit Jullien à Bron

Benoit Jullien Entre temps Musique Contemporaine Avril 1986 n°1