Rencontres Architecture et Musique – 1992
ACTES
CHATEAU DES FORGES • PESMES
Les participants
Ricardo Porro, architecte d’origine cubaine, vit en France où il développe une øuvre expressive d’une grande richesse.
Georges Bloch, compositeur, exerce son activité à Paris. JI participe à différentes recherches dans le cadre d’Espaces Nouveaux et à l’IRCAM.
Benoit Jullien, développe une activité d’architecte en France; il a mené des recherches sur les correspondances existant entre composition musicale et création architecturale.
Jean de Giacinto exerce son activité d’architecte à Bordeaux en association avec Alain Loisier. Il est l’auteur de plusieurs bâtiments publics remarqués, et fait appel régulièrement à des plasticiens.
David Slovic, architecte américain installé à Philadelphie, construit une oeuvre centrée principalement sur les équipements communautaires et l’espace public urbain.
Michèle Grosjean, sociologue, travaille sur le thème du son dans l’espace public. Elle a participé à plusieurs études pour la RATP, en particulier sur l’espace sonore.
Martin Rohain, fondateur de l’agence Architecture Studio, réalise parmi de très nombreux ensembles architecturaux, les bâtiments du Parlement européen de Strasbourg et le centre d’affaires Louise Michel à Besançon.
Othon Schneider, acousticien au CNRS, est responsable des études à Bruit Son Musique (Strasbourg), où il participe à la réalisation de nombreuses salles de concert; parallèlement il poursuit des recherches sur l’acoustique des salles et l’électroacoustique.
Katsu Umebayashi / Atelier Shin Takamatsu. L’architecte japonais Shin Takamatsu a participé en 1991 au concours international pour le grand auditorium de Dijon. Son oeuvre réalisé principalement au Japon porte la marque d’une très grande créativité.
Albert Yaying Xu, d’origine chinoise, a établi son activité d’acousticien à Paris où il est en charge de l’acoustique de nombreux bâtiments dont la Cité de la Musique ou le musée du Louvre, pour les plus célèbres.
Jean Pascal Jullien, acousticien, directeur scientifique de !’IRCAM, conduit des recherches sur l’acoustique des salles et l’acoustique virtuelle.
Christian de Portzamparc, Grand Prix d’Architecture, développe une oeuvre originale qui lui vaut une reconnaissance internationale. Après la réalisation du Conservatoire National de Musique, il termine actuellement la deuxième phase de la Cité de la Musique à Paris.
Carlos de l’Inquisition en l’emmenant dans sa tombe . Que se passe-L-il musicalement à l’apparition du moine dans sa tombe? La salle a tout simplement changé . On était dans une grande salle d’opéra, où les chanteurs hurlaient pour couvrir un orchestre énorme (à la création, il y avait neuf contrebasses). Le moine doit chanter après un fortissimo de huit trombones , c’est à dire qu’en fait, la différence d’intensité sonore est telle que son jeu se serait apparenté à du mime . Qu’a fait Verdi ? Il l’a mis dans une boîte, la tombe, qui joue le rôle d’enceinte acoustique d’où sort cette voix caverneuse d’outre-tombe tout à fait perceptible malgré la taille de la salle et le décalage d’intensité. Voilà un exemple d’acoustique variable. Il change la salle en mettant un chanteur dans une situation acoustique différente. Quels sont nos moyens aujourd’hui? On peut créer une acoustique virtuelle par des moyens électroacoustiques. C’est le but central du projet de spatialisateur sonore sur lequel nous travaillons avec !’IRCAM et Espaces Nouveaux. L’acoustique virtuelle devrait permettre une vraie relation à l’espace instrumental, dynamique. Je voudrai s insister sur cette idée de travail, c’est à dire qu’il y a toutes ces relations entre sources et salles, il y a tous ces moyens mis à la disposition des musiciens et des architectes; on peut envisager de repousser les murs; on peut envisager des traitements électroacoustiques avec le spatialisateur. Il y a cela chez Yamaha au Japon un prototype déspatialisateur qui fonctionne assez bien pour le piano, en simulant des acoustiques de diverses salles. Il y a donc actuellement des outils qui permettraient de déconnecter l’espace géométrique et l’effet sonore. C’est encore balbutiant, mais le problème, c’est le travail. 11 faut pouvoir utiliser ces outils el donner un sens à cette utilisation, là où les musiciens vont être utiles car il y a un travail d’écoute qui est spécifiquement musical. C’est pourquoi j’ai insisté sur les aspects de techniques musicales . N’importe qui peut faire des larsen mais simplement, ce ne sera pas aussi intéressant, aussi évident qu’avec Jimi Hendrix. J’insiste donc sur le travail musical. Je voudrais conclure en généralisant. J’ai parlé des salles et des sources, essentiellement en situation de concert, bien que cette relation de la composition musicale à l’environnement puisse se réaliser ailleurs que dans des salles de concert. C’est ce que nous démontrent Murray Schafer, Pierre Mariétan ou Louis Dandrel lorsqu’ils créent des paysages sonores.
Benoit Jullien
L’architecte est égoïste, il recherche partout des occasions de générer des idées d’espaces. 11 se trouve que j’ai fait des études musicales tardives au Conservatoire, et j’ai constaté qu’il y avait des connexions évidentes entre espace musical et espace sonore. Il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à étudier des oeuvres contemporaines et j’ai essayé de comprendre comment l’espace musical est créé, composé. J’ai rencontré des musiciens en essayant de les faire parler d’espace. Les premiers ont été Stockhausen et Boulez. Comment la musique peut-elle pour moi être à la source de l’architecture ? Pour l’exprimer je vais présenter un travail que j’ai fait il y a dix ans et réalisé il y a 8 ou 9 ans. J’ai pris beaucoup de recul aujourd’hui par rapport à cela. C’est à propos de « Répons » de Boulez. Pour moi l’architecture, c’est l’espace intérieur, l’organisation et l’articulation d’éléments. Le volume qui est généré par ces espaces répond à des espaces extérieurs; l’ensemble constitue l’architecture. Une oeuvre musicale répond aussi à ces qualités. J’ai eu l’occasion d’évoquer avec Boulez le problème de la composition. Selon moi, la composition architecturale répond à trois domaines : esthétique, organique et technique . Quand on transpose ces modèles de composition à la musique, on s’aperçoit de nombreuses analogies. Dans la composition esthétique, il y a l’harmonie, la structure de lecture, la forme, la cohérence ou l’incohérence, la lumière et la densité, le mouvement et la symbolique. Dans la composition organique, on trouve le rythme, la structure de composition, les proportions, la fonction, l’articulation, l’espace, le plein, le vide, l’angle et la courbe. Dans la composition technique, la trame, l’avant-trame, la structure matérielle, les matériaux, la surface, les plans, les volumes, la statique, les niveaux.
C’est un espace musical complet. Après avoir un peu discuté avec Boulez et son entourage, j’ai fait les premiers dessins. Il s’agit d’une place dans un ensemble de logements HLM construits avec Christian Hauvette à Bron où j’avais réservé dès le départ un espace pour aménager une place. A l’inverse des habitudes, j’ai organisé les bâtiments en fonction de cette place, sut un cercle ouvert sur un autre cercle, genèse d’un cycloïde. Dans les premiers dessins issus de la musique de Boulez, on retrouve les douze sons du sérialisme. Sur les immeubles, il y a des miroirs, des anamorphoses d’éléments qui sont à l’intérieur du projet. Cela représente le temps qui traverse l’œuvre des musiciens puisque Boulez reprend sans arrêt ses partitions. J’ai pensé que l’intérêt ici, était d’arriver dans un espace complètement ouvert et de le structurer en architecture. Il y a du mobilier urbain, des jeux, une sculpture au centre. J’ai rencontré à l’époque le sculpteur japonais Aïko Miyawaki. J’ai pensé que son travail à partir de fils d’acier qui se déploient et bougent dans le ciel représentait bien l’espace immatériel du centre de l’orchestre. En créant ici une fontaine très simple, de douze fils d’eau verticaux qui ont exactement les diamètres des fils d’acier dessinés par le sculpteur. On retrouve les anamorphoses en marbre et en pierre… Le jour de l’inauguration, les enfants ont instinctivement dansé et fait une ronde autour de la place qui a été baptisée … Place Georges Brassens !