techniques & ARCHITECTURE 392 ART/ARCHITECTURE – 1992

L’ARCHITECTURE, UN ART DE LA RENCONTRE

L’architecture, un art? « Oui, art de la rencontre, ouvert hors de soi vers les autres. Parce qu’elle ne surgit pas de sa propre initiative mais en réponse à un programme, à une demande, parce que sa destination est fonctionnelle et qu’elle s’inscrit dans l’espace et le temps, l’architecture n’est pas une production isolée. Les contraintes sont là, l’art de l’architecture est de se les concilier, d’organiser la comptabilité de ce qui est imposé et de la liberté de création. En cela l’architecture prédispose au dialogue. Dans cette dynamique de la rencontre, elle s’ouvre parfois à d’autres domaines de l’art.
Faire de l’architecture c’est d’abord être attentif. La feuille blanche, pour nous n’existe pas. Le programme est là, le terrain aussi, sa configuration son histoire et son environnement. Parfois même, il faut partir d’un bâtiment préexistant. Chercher, c’est d’abord regarder.
Être attentif, jouer avec les autres, incline peu à peu vers les autres. Je recherche souvent,presque toujours, d’autres compétences d’autres partenaires. Des dialogues s’engagent dès l’origine du projet, avec des ingénieurs, des concepteurs venant d’autres domaines ou des artistes.
À mon avis, la richesse d’un projet procède du jeu des lectures possibles: superposition de discours mais plus encore, imbrication, dialogue de mouvements d’idées, de références. Associer un autre concepteur c’est aller au-delà de soi, dans un autre univers, celui de l’autre. Ce dépassement de soi s’engage dès l’origine du projet. Les idées de l’un et l’autre se mêlent, se fondent dans un unique projet dont la paternité est à l’évidence commune. Travailler ainsi suppose d’abandonner l’obsession hystérique de la signature.
Cette symbiose se produit couramment dans les associations d’architectes. Les plus fortes et les plus pertinentes d’entre elles ont abandonné le patronyme des architectes pour donner naissance à une identité architecturale qui dépasse l’individu : Architecture Studio, Avant Travaux, Epinard Bleu, Site, Team Zoo, Architectonica. Ce n’est pas ce que j’ai choisi car il me plaît davantage d’aller vers d’autres univers, association moins courante mais tellement fertile.
À Ronchamp c’est avec un « jardinier» que j’ai travaillé récemment. La création minérale fondée sur la permanence et la stabilité du matériau rencontrait ici la création végétale fondée, elle, sur un matériau souple et changeant, vivant. Au-dessus de nous planait l’ombre d’un père : Le Corbusier. L’ombre nous dominait comme elle domine la ville. Notre-Dame-du-Haut attire chaque année sur sa colline 150 000 visiteurs. Ils visitent la Chapelle, ils aperçoivent en bas, dans la vallée la ville de Ronchamp.
Comment donner à Ronchamp l’animation issue de la chapelle ? Quelle organisation urbaine composer pour faire écho à cet objet architectural des hauteurs et construire entre la ville et la chapelle une relation autre que ce hasard géographique ?
Le début de notre fil d’Ariane est l’Histoire.
La houille est à l’origine de la cité. Ronchamp surgi du charbon du noir. Ses puits, le puits Arthur et le puits Sainte Marie sont parmi les plus profonds d’Europe. Le contraste est total entre la ville noire des profondeurs et la chapelle blanche des hauteurs.
Notre projet s’est appuyé sur les contrastes il a puisé ses concepts dans le sous-sol de la ville et la formation de la houille, il a organisé la ville en réponse à la chapelle.
Le paradoxe nous guidait : végétal pétrifié, symbolique du noir et du blanc… Car il n’était pas question de confirmer la domination de la chapelle sur la ville en semant, çà et là dans les rues,des souvenirs gadgets ou références de bazar : modulor, couleurs primaires, etc.
Tous les éléments qui organisent le projet ont été trouvés sur place. Les volumes qui occupent l’espace urbain ont été sertis dans le granit brillant qui rappelle la mine. Ils semblent ainsi flotter un instant au-dessus du sol, comme surgis du ventre de la terre. La fibre de carbone, moderne avatar de la houille, constitue le matériau de l’axe central, le signe qui oriente ta ville vers l’avenir.
Les végétaux qui concourent à la formation de la houille ont été mis en scène dans la ville, ils la rythment de leur présence ou de leur trace fossile. Le prèle, le bambou et le ginko biloba animent la ville de leur vie frissonnante ; mais dans la formation de la houille bien des espèces végétales ont disparu. Nous avons gardé leur mémoire en semant sur le sol de Ronchamp leur empreinte fossile.
Ronchamp, sous l’oeil de Le Corbusier, a été pour moi la rencontre avec un autre univers, celui du végétal. Ce n’était pas, bien sûr, la première rencontre, mais c’était la première qui se nouait sur l’origine du projet, qui fondait la conception. Philippe Niez,le «jardinier» est autant que moi l’auteur de cet ensemble.
Maîtriser les contraintes, faire écho à l’histoire, à l’environnement et accueillir des compétences issues d’autres domaines, tels sont à mon avis les fondements de la qualité architecturale. En toute logique l’architecture, rompue au dialogue, à la prise en compte de l’autre, se tourne forcément vers l’art. La démarche n’est pas nouvelle : elle est l’esprit même du Bauhaus. Le Corbusier a appelé Xenakis pour le couvent de la Tourette, pour ne citer que ces exemples. Pour ma part, j’ai engagé des «conversations» avec les domaines de l’art qui occupent mes loisirs: la musique surtout. D’abord j’ai travaillé à partir de la structure musicale d’une oeuvre ; construisant sa métaphore architecturale.
Selon ce schéma j’ai conçu à Bron une place « sur» le Répons de Pierre Boulez, à Corbeil l’espace extérieur d’un ensemble d’immeubles à partir de Arcus de York Holler. Je ne regrette pas ces projets: ils m’ont permis de donner une forme matérielle à l’espace musical, mais j’ai pris conscience de la limite de ce travail : conception solitaire de décodage et d’interprétation de l’oeuvre d’un autre. Le dialogue n’atteint pas la dynamique d’une création commune. L’œuvre de l’autre reste un prétexte ou un socle et non le mouvement que je recherche.
Avec François Bayle, j’ai eu l’occasion de réaliser le premier projet en symbiose avec un compositeur. Nous avons travaillé sur le concours du Symbole France-Japon. Nous avons créé un espace où se concentrait la projection sonore des racines des civilisations du monde. De cette rencontre reste un projet de monument bien sûr, mais surtout le désir de retourner dans cette voie, de réunir (et non de superposer) la création musicale et la création architecturale. D’autres projets verront le jour, ils procèdent de la même exigence: concevoir ensemble, dans une démarche itérative où chaque idée de l’un procède de l’autre et le relance à son tour, où l’espace et la musique créent leur propre rencontre.
La musique,bien sûr, n’est pas le seul art vers lequel peut se tourner l’architecte. En fait, toutes les associations sont possibles,l’ essentiel étant d’organiser une rencontre dynamique.
Il est grand temps de mettre un terme à ce mépris réciproque de l’art et de l’architecture de laisser se produire la rencontre. Benoît Jullien

ARCHITECTURE, AN ART OF ENCOUNTER

Architecture an art? « Yes, an art of encounter, a movement outside oneself towards others », says Benoit Jullien. « I nearly always search out other competences, other partners. From the very beginning of a project I engage in a dialogue with engineers, designers in different creative fields, or artists. »

Thus ideas arrive from ail directions and are blended together so that their individual paternity is no longer evident. To work in such a way, says Jullien, implies abandoning what he calls the « hysteric obsession » with « signed » architecture.

One of Jullien’s most recent ‘ »encounters » was with landscape gardner Philippe Niez to construct an urban relationship between the Notre-Dame-Du-Haut, the hilltop chapel designed by Le Corbusier, and the town of Ronchamp which it overlooks. Some 150,000 visitors a year visit the chapel, few ever stop in the town itself.

Jullien and Niez chose to base their project on the total contrast between the black, mining town of Ronchamp in the depths of the valley and the white chapel up on the heights  » … The volumes which occupy the urban space were set in  the brilliant granite which recalled the mine. They thus seem to float for an instant above the ground, as if they had been thrust from the belly of the earth. Carbon fibre, the modern derivative of coal, constitutes the material of the central axis, the sign which steers the town towards the future. »

Music while not a visual art, is still an art, and Jullien has explored in some depth that extrapolation of a physical construction from the construction of a piece of music. He worked with the composer François Bayle in connection with the France-Japan monument competition.

Techniques et Architecture un art de la rencontre